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La forte médiatisation de la crise que traverse actuellement le Venezuela donne lieu à une profusion d'informations que l'on serait tenté de croire neutres ; or, bien souvent, leurs sources revêtent un caractère partisan pro-Maduro ou pro-Guaido qu'il n'est pas toujours aisé de déceler. Andrés Antillano, professeur à l'université centrale du Venezuela, explique que «les médias sont très polarisés et se placent de manière très nette pour le gouvernement ou pour l'opposition». Il considère en outre que la presse au Venezuela est «un acteur politique qui a contribué à jeter de l'huile sur le feu».

Outre les reportages réalisés sur place, les principales sources d'information des médias français sont les agences de presse, en tête desquelles l'AFP. Dans l'une de ses dépêches, classée urgente, tombée dans la nuit du 23 au 24 janvier, quelques heures après l’auto-proclamation de Juan Guaido comme président du pays ad interim, on lisait par exemple : «Treize personnes ont été tuées en deux jours dans le cadre des manifestations antigouvernementales qui ont secoué le Venezuela, a indiqué à l'AFP une organisation non gouvernementale de défense des droits humains.» Quelques heures plus tard, une autre dépêche AFP, également signalée comme urgente, faisait état de 26 morts.

Derrière le terme d'«organisation non gouvernementale de défense des droits humains», l'AFP fait en réalité référence à l'Observatoire vénézuélien des conflits sociaux (OVCS), une institution que l'agence de presse présente tantôt comme une ONG... tantôt comme une «organisation d'opposition au gouvernement de Nicolas Maduro.» Au total, entre le 23 et le 29 janvier, l'AFP publiera pas moins de 9 dépêches s'appuyant sur des informations de l'OVCS – dépêches abondamment reprises par tous les grands médias français, sans davantage de précisions quant au biais dont peut légitimement être soupçonné cette source.

Le flou entourant les morts lors des manifestations

D'où l'OVCS tire-t-il les chiffres qu'il communique ? Difficile de le savoir. Nous avons donc tenté de la contacter par le biais des réseaux sociaux afin d'obtenir plus de détails, sans succès. La portée d'une telle information est pourtant loin d'être anodine : en affirmant, par une formule elle aussi empreinte d’ambiguïté, que 13 personnes ont été tuées en deux jours «dans le cadre des manifestations antigouvernementales», l'organisation laisse en effet entendre que ces victimes seraient des opposants à Nicolas Maduro.

La liste des décès recensés par l'OVCS entre le 23 et 24 janvier vient rappeler la nécessité, bien connue et pourtant trop souvent éludée, du recoupement des sources. En témoigne par exemple le cas d'Efren Sandalio Castillo, un homme de 43 dont de nombreux témoignages sur les réseaux sociaux affirment qu'il était en effet un opposant politique et qu'il aurait été abattu, ses proches accusant la garde nationale d'avoir tiré à balles réelles lors des manifestations. «La garde nationale utilise des pistolets à grenailles de plomb», assure cependant Romain Migus, spécialiste du Venezuela. «C'est impressionnant comme une blessure de flashball (ou LBD40) mais ce n'est pas létal», ajoute-t-il. 

L'armée vénézuélienne tire-t-elle à balles réelles sur les manifestants ? En l'absence de preuves permettant de trancher cette question, toute réponse définitive semble moins dictée par la recherche de la vérité que par des intérêts politiques. 

Deux autres noms figurant sur sa liste posent en revanche des questions quant à la rigueur voire l'honnêteté du travail de l'OVCS : ceux d'Antonio Cardenas Blanquez et de Luis Alberto Martinez. Ces deux jeunes hommes de 22 et 32 ans ont été tués par balles, le 23 janvier, en banlieue de Caracas, en marge d'une manifestation, mais plusieurs sites d'informations locaux évoquent dans leur cas un fait-divers n'entretenant «aucun rapport avec la manifestation» : les deux jeunes hommes auraient tenté de cambrioler une boulangerie et auraient été abattus par le commerçant, comme l'explique notamment Noticiascol.

Signe supplémentaire de la prudence avec laquelle ces informations, souvent relayées sans vérification ni contextualisation, doivent être envisagées : les circonstances de certains décès listés par l'OVCS sont parfois très floues, et la version des faits ne fait pas toujours consensus. C'est le cas du décès de German Cohen, un jeune homme de 33 ans visé dans la ville de Merida par un coup de feu avant d'être brûlé vivant. Si son meurtre a bien eu lieu en marge d'une manifestation anti-Maduro le 23 janvier, des témoignages affirment que c'est la foule des manifestants qui s'en serait pris à lui, empêchant même l'intervention de la garde civile. Des médias affirment que le jeune homme souffrait de troubles psychiatriques et qu'il a provoqué les manifestants de l'opposition en assurant être un soutien de Nicolas Maduro.

L'OVCS, une source influente qui pose question

Les informations disponibles pour le grand public au sujet de l'OVCS, peu nombreuses, laissent présager d'une certaine partialité. Sa fiche Wikipedia indique par exemple qu'il est affilié «à diverses ONG et institutions telles que l'Organisation des Etats américains», sous influence des Etats-Unis, à «l'Université centrale du Venezuela» et au «Conseil latino-américain des sciences sociales», une institution non-gouvernementale créée en 1967 à l'initiative de l'Unesco.

Dès le 10 janvier, jour de l'investiture de Nicolas Maduro pour son second mandat, l'OVCS publiait un communiqué dans lequel il qualifiait sa réélection d'«usurpation de fonction», expression abondamment employée par l'opposition et que l'on retrouve de manière récurrente dans les discours de Juan Guaido. Si elle peut certes jouer le rôle de source d'information, force est de constater que l'OVCS n'est donc pas une source d'information neutre.

Quelle est la profondeur des liens unissant l'OVCS à l'opposition vénézuélienne ? Son site internet, très peu actualisé, ne fournit aucune information quant à ses financements et ses réseaux.

L'AFP, que nous avons également sollicitée afin d'essayer d'obtenir des précisions quant à cette source sur laquelle elle s'appuie abondamment, ne s'est pas montrée plus claire. Un responsable de la rubrique internationale contacté par téléphone a estimé qu'il ne s'agissait pas d'«un sujet de débat» et que «l'AFP ne souhait[ait] pas communiquer sur ce sujet». «Faites le même travail d'investigation que vous faites pour l'OSDH», a ajouté le responsable, faisant référence à l'Observatoire syrien des droits de l'homme, source omniprésente de nombreux médias occidentaux dans leur couverture du conflit syrien et dont RT a régulièrement remis en question la fiabilité.

Dans la confusion du business des ONG 

Pour Romain Migus, la situation des ONG dans ce pays d'Amérique latine n'est néanmoins pas comparable à la situation de quasi monopole qu'avait l'OSDH en Syrie. «Au Venezuela, il y a plusieurs ONG d'opposition parce que c'est un business», assure ce fin connaisseur du pays. «La pluie de dollars aidant, chacun veut monter sa petite ONG pour en profiter. De plus, chaque clan politique a son ONG», assure-t-il.

Selon les informations de Romain Migus, l'OVCS serait financé par la National Endowment for Democracy (NED), organisation dont le financement est voté par le Congrès américain et qui fait partie du budget du ministère des Affaires étrangères consacré à l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID). Un financement présumé que signale également le site vénézuélien Mision Verdad, favorable au chavisme.

«Le scénario est souvent le même, telle ONG, maniée par une personne de l'opposition, reçoit des financements étrangers d'un pays qui lui-même est juge et partie dans le conflit, va faire un rapport qui va être repris par une ONG plus importante comme Human Rights Watch (HRW) ou Reporters sans frontières (RSF) et ensuite, cela se retrouve dans les médias occidentaux», assure Romain Migus.

Face à une situation complexe où très peu de sources semblent pouvoir être qualifiées d'impartiales, l'éthique journalistique autant que le souci d'informer devrait conduire les médias occidentaux à faire preuve de transparence quant aux orientations politiques des organismes auprès desquels ils obtiennent leurs informations. L'honnêteté commanderait même de ne pas se restreindre aux seules sources favorables à l'opposition et à daigner considérer les médias pro-Maduro, presque systématiquement écartés pour des raisons idéologiques.

Parmi ces sources, on peut citer Telesur ou Venezuela de television (VTV), des médias, qui, s'ils sont certainement critiquables par certains aspects, n'en font pas moins un travail sérieux et qui pourrait servir à équilibrer la couverture des événements au Venezuela, tout en permettant de donner aux lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs un aperçu plus complet de la situation dans ce pays. Tel ne semble pas être le parti pris éditorial de l'écrasante majorité des journalistes ou des agences de presse : la chaîne Telesur a été citée une seule fois par l'AFP depuis le début de la crise vénézuélienne.

Meriem Laribi

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